Bodhidharma & Shaolin dans l'histoire

Publié le 2 Novembre 2025

Bodhidharma & Shaolin dans l'histoire

Au-delà des légendes qui ont nourri l’imaginaire collectif, l’histoire de Bodhidharma (Dámó 達摩) et du monastère de Shaolin (Shàolínsì 少林寺) raconte la rencontre de plusieurs mondes : celui du Bouddhisme indien, de la philosophie chinoise, et de la discipline martiale.

Aux origines du Temple de Shaolin

Le monastère de Shaolin fut fondé vers 495 sur les pentes du mont Sōng (嵩山), dans la province du Hénan. La tradition attribue sa création à un moine venu d’Inde, Bátuó (跋陀), connu sous le nom sanskrit Buddhabhadra. Sous son influence, le temple devint un haut lieu d’étude et de méditation, accueillant des moines érudits et des pratiquants venus de tout l’empire.

Au fil des décennies, Shaolin s’affirma comme un centre bouddhique majeur, mais aussi comme un lieu de transmission de méthodes corporelles destinées à soutenir la méditation et la santé des moines. C’est dans ce contexte qu’un siècle plus tard apparaît une figure qui marquera profondément son histoire : Bodhidharma.

La figure de Bodhidharma (Dámó 達摩)

Selon la tradition, Bodhidharma, moine d’origine indienne ou persane, aurait quitté le sud de l’Inde pour diffuser l’enseignement du Bouddhisme Mahāyāna en Chine.
Arrivé vers le début du VIᵉ siècle, il est considéré comme le 28ᵉ patriarche du Bouddhisme et le premier patriarche du Chán (禪), terme chinois issu du sanskrit Dhyāna, signifiant « méditation ».

Une légende célèbre rapporte son audience avec l’empereur Wǔ (梁武帝) des Liang. Le souverain, grand bâtisseur de temples, demanda à Bodhidharma quels mérites il avait acquis par tant d’œuvres pieuses. Le moine répondit :

« Aucun mérite véritable. La vérité ne réside pas dans les temples ni dans les dorures, mais dans le cœur de l’homme. »

Offensé, l’empereur mit fin à l’entretien. Bodhidharma quitta alors la cour, traversa le fleuve Jaune sur un roseau, et se retira au monastère de Shaolin, où il aurait médité neuf années face à la paroi d’une grotte. De cet épisode symbolique naît son surnom de Bìguān (壁觀), « celui qui contemple le mur ».

Du mythe à la réalité historique

Si ces récits appartiennent davantage à la tradition qu’à l’histoire, ils traduisent bien le message spirituel du Chán : une voie directe vers l’éveil, indépendante des rituels, fondée sur l’expérience intérieure et la connaissance de soi.

Les sources historiques confirment cependant un point essentiel : au VIIᵉ siècle, les moines de Shaolin ont bel et bien pris part à des opérations militaires.
Une stèle datée de 728 atteste que les moines ont soutenu Lǐ Shìmín (李世民), futur empereur Tàizōng (太宗) des Tang, lors de la guerre contre le seigneur rebelle Wáng Shìchōng (王世充).
Cet épisode authentique marque la naissance d’une réputation durable : celle des moines combattants de Shaolin, disciplinés, loyaux et redoutables.

Les textes attribués à Bodhidharma

Deux ouvrages anciens sont traditionnellement liés à Bodhidharma :

le Yìjīnjīng (易筋經) — Traité de transformation des muscles et des tendons, et le Xǐsuǐjīng (洗髓經) — Traité de purification de la moelle et de l’esprit.

Ces textes décrivent des exercices physiques et respiratoires visant à renforcer le corps et à purifier l’esprit. Mais selon les recherches modernes, ils auraient été rédigés plus d’un millénaire après Bodhidharma, probablement sous les Ming (XVIᵉ–XVIIᵉ siècles). Leur attribution au patriarche Dámó relève donc de la légende postérieure, tissant un lien symbolique — mais non historique — entre méditation et arts martiaux.

La portée de son héritage

L’enseignement de Bodhidharma se résume en quatre principes, devenus la base du Chán :

- Transmission hors des écritures (jiào wài bié chuán 教外別傳),

- Indépendance des mots et des lettres (bùlì wénzì 不立文字),

- Vision directe de sa propre nature (jiànxìng 見性),

- Réalisation de l’éveil (chéngfó 成佛).

Ces formules condensent l’essence d’une voie dépouillée, directe et intérieure.
Le Chán se diffusera ensuite en Corée (Seon), au Japon (Zen), et influencera profondément la culture spirituelle et martiale d’Extrême-Orient.

Un symbole plus qu’un fondateur

Bodhidharma n’est pas le « créateur » des arts martiaux chinois. Des formes de combat, de gymnastique et de pratiques de santé existaient déjà depuis des siècles.
Mais son nom incarne l’idée d’une unité entre corps, esprit et voie intérieure — ce lien vivant entre discipline martiale, harmonie énergétique et quête d’éveil.

Ainsi, à travers le temps, Dámó 達摩 demeure le symbole du moine éveillé : celui qui a su dompter le tigre de ses instincts et chevaucher la force de la nature sans s’y perdre.

À méditer

« Le véritable combat ne se livre pas contre autrui, mais contre soi-même.
Quand l’esprit s’apaise, même le tigre se couche. »



 

Sources & références

- Meir Shahar, The Shaolin Monastery – History, Religion, and the Chinese Martial Arts, University of Hawai‘i Press, 2008.

- John Kieschnick, The Eminent Monk: Buddhist Ideals in Medieval Chinese Hagiography, University of Hawai‘i Press, 1997.

- Traditions Chan (禪) – Jingde Chuandeng Lu (景德傳燈錄, XIᵉ s.)

Rédigé par Ecole de Wushu à Caen

Publié dans #articlesBailong